lundi 22 février 2021

La mauvaise gestion du système de santé hospitalier français est la principale cause de la crise sanitaire actuelle

En tant que médecin, ma formation m'a amené à travailler pendant une dizaine d'années dans les hôpitaux publics.

Durant mes années hospitalières, les circonstances entraînaient parfois le centre départemental de soins où j'exerçais à se voir ponctuellement qualifié d'« hôpital sous tension ».

Prenant ma garde le vendredi soir, le cadre de santé de permanence me contactait pour me donner le conseil de ne pas hospitaliser de patient dans le week-end, car il n'y avait pas de place pour en accueillir! L'ordre consistait donc à orienter les appels téléphoniques vers d'autres établissements de soins de la région, et de faire en sorte que les urgences dirigées malgré tout vers mes soins n'aient pas besoin d'un lit...

Cette situation pouvait se reproduire chaque année sur quelques jours, principalement en hiver, en fonction des pics épidémiques grippaux et des périodes de congés des personnels (avec fermeture temporaires d'ailes de service).

Cette désorganisation transitoire justifiait également d'abuser du dévouement des personnels paramédicaux, en chamboulant leurs agendas du jour au lendemain, pour pallier à une absence pour arrêt maladie d'un côté, ou supprimer une récupération de l'autre.


Il n'y a donc rien d'étonnant à mes yeux, dans les circonstances pandémiques actuelles d'un afflux lent mais régulier de malades vieillissants, sur deux hivers consécutifs, que cette « tension » devienne la règle de gestion de nos hôpitaux. Le Covid n'est que la goutte d'eau qui fait déborder un vase hospitalier qu'on a volontairement laissé se remplir depuis de nombreuses années.

Cette problématique éclabousse maintenant toute la population, car en voulant pallier les carences accumulées dans l'accueil des malades, la seule solution qui s'est imposée aux responsables sanitaires est celle d'un confinement général.

La saturation prolongée de notre système de soins public ne constitue pourtant pas une surprise, le contexte ayant été rapporté à de multiples reprises jusque dans la rue par les acteurs de la santé en France.


Les soignants soignent, les bureaucrates dirigent.

Dans notre pays, l'organisation quotidienne d'un service hospitalier est dictée, non par les principaux artisans de son fonctionnement, que sont les personnels médicaux et paramédicaux, mais par l'administration qui les chapeaute.

Depuis mes débuts sur le terrain, cette bureaucratie hospitalière a lentement dérivé vers une concentration des prises de décisions par des agents non médicaux : cadres, services administratifs déconnectés du patient, et directions financières.

Les moyens nécessaires à une mission de soins, matériels et humains, sont pourtant assez aisés à identifier lorsqu'on passe 10 heures par jour en contact avec des patients.

L'évaluation en est plus difficile vue d'un bureau où seuls les chiffres d'activités (et le coût de la masse salariale, d'environ 75% du budget des hôpitaux publics) sont visibles.


Les médecins représentent une ressource aujourd'hui raréfiée par les effets du Numerus Clausus instauré au début des années 70 par les autorités françaises. La volonté de l'époque de restreindre l'offre de soins dérivait de l'idée qu'un médecin en activité coûte à la société, et qu'en en limitant le nombre en découleraient des économies de Santé.

L'absence d'anticipation de la baisse de la démographie médicale mène aujourd'hui à une situation de manque de généralistes et de spécialistes sur la plupart du territoire.

Dans ma spécialité par exemple, un tiers des arrêts d'activité pour retraite ne sont pas compensés, et 40% des nouveaux installés ont une formation et un diplôme étranger.


A l'hôpital, les soins médicaux ne peuvent s'exercer dans de bonnes conditions sans l'action des personnels infirmiers et agents hospitaliers (secrétaires, aides-soignants,...).

La conduite des équipes paramédicales a cependant été graduellement orienté vers une polyvalence imposée par les directions, dans l'objectif de rationaliser les moyens humains dans les établissements, et de palier aux défauts et absences des personnels.

Les équipes infirmières ont été progressivement mutualisées dans des « pools » opérationnels, formées sur le tas, individus déployables à l'envie dans les divers services dans le besoin. Ainsi, les pions de l'hôpital sont disposés par les cadres sur les plannings hebdomadaires, éléments interchangeables à horaires de travail variables.

C'est oublier l'expertise nécessaire à la prise en charge spécifique des malades, n'exigeant pas les mêmes compétences selon qu'il s'agit d'effectuer un pansement d'amputé, la préparation d'une chirurgie colique urgente, ou l'accompagnement d'un cancéreux en soins palliatifs...


Simultanément, la concentration géographique de l'offre de soins dans les plus grands établissements, secondaire à la fermeture des hôpitaux périphériques à faible activité, a poursuivi le même but d'optimisation des ressources, au détriment d'une prise en charge de proximité.


L'économie de moyen ainsi estimée par les dirigeants a inévitablement conduit à une fermeture de lits d'hospitalisation.

Pourquoi maintenir 10 agents experts de soins par service, dans 10 services différents, quand un « pool » de 90 infirmier(e)s suffit à remplir les plannings ?

Pourquoi laisser opérationnel un hôpital ou une maternité locale à faible passage, alors que le centre hospitalier départemental met à disposition les moyens nécessaires pour le territoire ? D'autant que les praticiens compétents pour faire tourner les services se trouvent de plus en plus difficilement...

Les postes de soignants perdus lors de ces réorganisations n'ont bien entendu pas été remplacés. Et le manque de personnel interdit de facto l'accueil de malades à l'hôpital, même si physiquement une chambre, un lit, un respirateur... sont disponibles dans la structure.

Le développement tant espéré des procédures ambulatoires s'est jusqu'à présent heurté au vieillissement des populations (un tiers des séjours hospitaliers concerne des personnes de plus de 65 ans), et à la faiblesse des infrastructures de soins de suite ou d'hospitalisation à domicile.


En France, les chiffres les plus récents annoncent une restriction de 100 000 lits depuis 20 ans dans les hôpitaux, pour un total de moins de 400000 lits.

Dans le même temps, pour des raisons démographiques simples, le nombre de passages aux urgences hospitalières a doublé, passant de 10 à 20 millions par an.


Cette gestion quantitative et non qualitative des ressources humaines de l'hôpital a donc amorcé la détérioration des conditions de travail de tous les acteurs de terrain de la santé publique. Et engendré par la même occasion une dégradation de la qualité de la prise en charge des patients : délais d'attente aux urgences ou pour soins programmés, accès aux soins de proximité,...


La question des moyens matériels des structures de soin publiques mérite aussi d'être soulevée.

Dans mon domaine d'exercice, comme dans la plupart des disciplines médicales ou chirurgicales, les évolutions technologiques et thérapeutiques ont très largement amélioré la prise en charge des patients depuis 20 ans. Mais ces innovations ont un coût, qu'il convient de justifier auprès des tutelles financières à chaque investissement réclamé.

Le bénéfice de disposer sur place d'un examen de pointe est alors mis en balance avec les risques de passer à côté d'un diagnostic invalidant ou grave en cas de non réalisation, ou de report de cet examen. Ce sont souvent, au final, des considérations médico-légales qui aboutissent à des décisions d'achat d'équipements, les directions ne pouvant soutenir le risque de procédures judiciaires par défaut de moyens de soins.

Pour illustrer ce propos, je rappellerai ici que le délai moyen d'obtention d'une imagerie IRM reste à plus d'un mois en France, alors que les recommandations du plan Cancer 2014-2019 sont de 20 jours.


Sur le plan des investissements matériels, les équipes médicales demeurent aussi contraintes par les obligations de procédures d'appels d'offres publiques, ralentissant les acquisitions et les faisant parfois dévier de leur intérêt initial.

Alors que dans le même temps, les décisions d'investissements immobiliers des centres hospitaliers, se chiffrant en centaines de millions d'euros sur un territoire, échappent bien souvent à toute logique de soins, et se passent de concertations avec les hommes et femmes de terrain. Certaines signatures de contrats avec des entités étrangères semblent également très bien se passer de mise en concurrence lorsqu'il s'agit de mission de « conseil » en temps de crise sanitaire...



Cette gestion comptable de l'hôpital public français, déconnectée des besoins médicaux réels, a été sciemment dirigée par les politiques de soins des dernières années.

Les multiples organisations régies par le Ministère de la Santé en France, qui orientent les décisions de terrain (HAS, DGS, DGOS, ARS...), souffrent d'une vision purement administrative et centralisée du travail hospitalier.

Les usagers et les élus locaux sont amenés à exprimer leur avis avant la fermeture d'un centre de soins périphérique, mais leurs besoins de soins de proximité restent rarement écoutés. De même que la voix des représentants médicaux ne porte que peu lorsqu'il s'agit de déterminer le nombre de postes de futurs médecins en formation ouverts à l'Examen Classant National.

L'Ecole des hautes études en santé publique de Rennes forme à la responsabilité de directeur hospitalier des hauts fonctionnaires qui n'ont souvent aucune expertise scientifique ou médicale, mandatés avant tout pour équilibrer les crédits de fonctionnement de structures dont ils ne connaissent que les chiffres. Leur avancement se décide sur la stabilisation de la balance budgétaire durant les quelques années où ils dirigent leur établissement.

Les directeurs comptables du système ne se voient que rarement contredits par la Commission Médicale d'Etablissement locale, dernière instance d'expression accessible aux médecins. Ces comités sont clairement affaiblis par le désintérêt de représentants médicaux déjà bien accaparés par les soins, mais aussi parfois orientés dans leurs ambitions hiérarchiques personnelles.

Pour terminer le tour de table, les représentants des collectivités locales conservent une place dans le Conseil de surveillance des centres hospitaliers, mais semblent de peu de poids dans les orientations financières validées au final par ce mille-feuilles administratif.


La Santé ne s'achète pas.

Faisant suite à la classique dotation globale allouée annuellement, le financement des structures de santé par la tarification à l'acte, à compter de 2008, a poussé la pression exercée sur les équipes de soins vers l'augmentation des cadences et la sélection des gestes rémunérateurs. Aux yeux des autorités et des directions, la quantité prime maintenant sur la qualité des soins, déviant vers la multiplication des bilans et interventions parfois injustifiés (le « bénéfice » d'une césarienne par rapport à un accouchement par voie basse peut être de 50% pour un établissement).

Il est intéressant, avec le recul, de se remémorer que la mise en place de la « T2A » est à mettre, entre autres, au crédit de notre Premier Ministre actuel.


Il était pourtant prévisible que l'application de la logique d'entreprise de production à la Santé, dans le but d'en diminuer les coûts, constituerait une impasse.


La « matière première » des soignants, c'est le Vivant.

La maladie, la mutilation, la vieillesse, la dégénérescence, ne peuvent être pondérées ou assimilées à des actifs, à du capital. Le résultat d'un soin n'a pas de sens comptable, car l'apaisement ou la guérison ne se jugent qu'aux bénéfices humains individuels.

La Santé ne s'achète pas.


Certes, la notion de coût sociétal s'impose quand il s'agit de déterminer les budgets de fonctionnement de la Santé publique, et ce poste ne saurait souffrir plus qu'un autre de dépenses inconsidérées. Mais savoir que la part des salariés non soignants, « têtes pensantes » de l'hôpital, représente 1/3 des effectifs du Public en France (environ 25% chez nos voisins européens), laisse imaginer la marge d'économie réalisable sans hypothéquer la qualité des soins.

La société française assume encore le choix d'une solidarité dans le domaine de la prise en charge des services médicaux, via la Sécurité Sociale, selon le principe du « chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins ». L'équilibre en demeure précaire, mais il est hautement probable qu'une majorité de nos concitoyens préféreraient conserver cet acquis que de le perdre.

Le système actuel va néanmoins inévitablement être remis en cause par les dépenses engendrées par les choix de crise du moment. L'impulsion libérale vers une couverture de Santé par des organismes privés avait déjà été initié ces dernières années, sans compter le déséquilibre croissant entre prélèvements sociaux et répartition à mesure du vieillissement démographique.

L'épisode du Covid aura sans nul doute favorisé la privatisation de la Santé à terme.


La « guerre » sanitaire est déclarée

Lors du premier pic de l'épidémie de mars 2020, le réel afflux de malades vers l'hôpital a été précédé des plus sombres prophéties d'effondrement des organisations hospitalières. La menace d'un « tri de guerre » des victimes virales, brandie par les politiques et certains professionnels, a imprimé dans les consciences collectives la nécessaire acceptation du confinement.

Ces prédictions était-elles si fiables, pour des gouvernants au courant de longue date de la saturation du système, qu'elles exigeaient impérativement notre assujettissement ?

Les restrictions généralisées de libertés, basées sur les projections des capacités hospitalières, étaient-elles inévitables ?

Ne pouvait-on vraiment pas, comme chaque année, miser sur la résistance de nos structures de santé, publiques et privées, pour absorber le choc de cette pandémie ?

A maintenant un an du début de cette crise, peut-on encore éprouver la résilience des personnels hospitaliers ?


Au printemps dernier, la Clinique dans laquelle j'exerce s'est vue, comme beaucoup d'autres, contrainte d'annuler toute activité programmée par l'ARS régionale, dans l'optique de pouvoir assumer si besoin un flot de contaminés du Covid (qui n'est jamais arrivé). Les personnels de soin ont été placé en chômage partiel, les salles de bloc et les services ne recevant plus que les rares urgences pendant les 2 mois d'alerte sanitaire.

Les lits d'hospitalisation du secteur privé n'ont ainsi été exploité de façon optimale que dans de rares occasions, dans certains départements métropolitains. La préférence donnée, à grands renforts d'exposition médiatique, à des transferts inter-régionaux de patients dans les réanimations publiques, s'avère un choix politique discutable. Tout autant que le report autoritaire et indifférencié des soins habituels, chirurgies, chimiothérapies, examens d'imagerie...

Si la coordination des administrateurs de Santé responsables s'avérait plus logique, les cliniques tiendraient leur plein rôle dans l'épidémie.


Matériellement, les problématiques d'approvisionnement initiales en protections individuelles destinées aux soignants, par défaut d'anticipation des autorités, doivent aussi servir de leçon. Même si cela a pris du temps, la première poussée virale du printemps dernier a démontré qu'il était quand même possible de se procurer des appareils de ventilation pour augmenter les capacités de prise en charge dans les secteurs de soins intensifs.

Le financement de ces équipements ne représente au final qu'une fraction des coûts liés aux stratégies de soins défaillantes et aux restrictions d'activités imposées aux français. A ce jour, par exemple, les seuls tests PCR de dépistage Covid ont coûté plus de 2.5 Milliards d'euros aux contribuables.


Dans l'urgence, le manque de personnel spécialisé ne peut bien entendu pas être compensé instantanément, surtout lorsque les équipes de soins éprouvent déjà dans leur quotidien habituel les limites de leurs possibilités. Mais les bonnes volontés existent partout parmi les soignants et élèves en formation. Encore faut-il leur proposer une reconnaissance appropriée.

La proposition d'extension provisoire des horaires de travail durant les pics épidémiques, avec la motivation d'une rémunération à hauteur de la tâche accomplie (heures supplémentaires payés à 200% par exemple, encadrées sur une durée limitée), aurait été plus appréciable pour les agents que des applaudissements chaque soir aux balcons.

De plus, la souplesse semblant dorénavant la règle des organisations humaines à l'hôpital, les critères d'urgence autorisaient le déploiement des salariés non experts des secteurs calmes vers les services Covid, autour d'un noyau de compétences de terrain.

Enfin, personnellement, et en ma qualité de médecin, si des circonstances exceptionnelles représentent un risque national, je me considère mobilisable dans tout domaine qui n'excède pas mes compétences encadrées. Ce volontariat paraît d'autant plus applicable lors de fermetures imposées de cliniques.


Dans un contexte de « guerre », fut elle sanitaire, appelle t-on à la mobilisation exceptionnelle des troupes, ou bien à l'enfermement et à la soumission des populations ?

L'option de « laisser faire » le virus, comme toute épidémie saisonnière de l'époque moderne, mettait effectivement sous pression un ensemble fragile mais maintes fois éprouvé. Mais force est de constater que, dans l'urgence indéfiniment prolongée sur l'année écoulée, peu d'efforts politiques ou financiers ont été consacré à renforcer les structures d'accueil hospitalières. Les conclusions démagogiques d'un énième « Ségur de la Santé » n'ont débouché que sur une frustration encore plus grande des agents, mais en aucun cas sur une promesse d'embauches ou de consolidation des places existantes à l'hôpital.


Lorsque cette crise sera derrière nous, et avant la suivante, il sera légitime de questionner nos dirigeants passés et actuels sur leurs responsabilités dans ce désastre : plus de 83000 décès à ce jour, et le sacrifice des libertés, de l'éducation, du travail et des loisirs des jeunes générations.

Auront-ils la décence de reconnaître que l'abandon de la gestion de la Santé aux administratifs et aux comptables constitue le germe des mesures restrictives imposées ? Quel avenir veut on réserver à notre Hôpital, et par extension à notre système de soins ?


Malmené dans sa gestion politique et bureaucratique, l'Hôpital bénéficie pourtant encore du socle fondamental adapté au soulagement des atteintes humaines : l'abnégation, le dévouement et l'empathie de ces soignants.

Qu'elles que puissent être les orientations prises, les personnels dédiés aux soins devront toujours être reconnus pour les valeurs humanistes qu'ils véhiculent, et cette reconnaissance s'imposera comme triple :

  • matérielle, par l'amélioration de leurs conditions de travail,

  • financière, par des revalorisations salariales significatives,

  • et stratégique, grâce à la légitime confiance qu'on redonnera à leurs choix d'orienter l'organisation des soins.


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Moutons 🐑🐑🐑🐑🐑

 Rien ne sera plus jamais comme avant,  chantait Jean-Jacques Goldman dans Rouge . Il est temps de se rendre à l'évidence que les promes...